Quand on devient parent, lire une histoire chaque soir à ses enfants fait partie des missions de base. Certains pédiatres disent même que c’est aussi important que de leur donner du lait. Pour les calmer, développer le langage, l’imaginaire, les faire rêver et réfléchir. Mais que faire des histoires glauques ou violentes qu'on nous a racontées mille fois quand on était petits ? La chèvre de Monsieur Seguin qui finit déchiquetée par le loup parce qu’elle n’a pas voulu rester sagement attachée à son piquet. Le Petit Chaperon rouge qui se fait dévorer toute crue parce qu’elle n’a pas écouté sa maman. Ou encore La Petite Fille aux allumettes qui meurt carrément de froid sur le trottoir un soir de Noël. Doit-on transmettre ces récits sous prétexte qu’ils font partie de notre tradition culturelle ? Quels messages subliminaux envoient-ils à nos enfants ?
Ces questions se posent d’autant plus quand on a des filles : a-t-on vraiment envie de perpétuer les injonctions larvées des contes où c’est systématiquement la plus jolie et la plus gentille du royaume qui s’en sort en chopant le prince charmant ? Faut-il réveiller la Belle au bois dormant ? Canceler le petit Chaperon Rouge ? Réécrire une version où Cendrillon chausserait du 42 ?
Toutes ces questions de mère angoissée, Delphine Saltel les soumet à la professeure de littérature Jennifer Tamas. Elle est spécialiste des 17ᵉ et 18ᵉ siècle, l’époque des frères Grimm et de Charles Perrault d’où provient une bonne partie des contes et des histoires que l’on raconte encore aujourd’hui aux petits. Elle s’intéresse aux questions de "cancel culture" parce qu’elle enseigne aux États-Unis, dans une université du New Jersey, face à des étudiants qui souvent se méfient des valeurs que véhicule notre passé littéraire. Elle milite pour une relecture attentive de cet héritage, et nous incite à décaper le sens des textes encroûtés sous le vernis des interprétations successives. Exemples à l’appui, elle démontre magistralement que, derrière l’histoire littéraire officielle et les blockbusters de Walt Disney, se cache une foule d'héroïnes et d’autrices oubliées, une sorte de “matrimoine” qu’il est urgent de redécouvrir.
Avec Jennifer Tamas, agrégée de Lettres modernes et professeure de Littérature française à Rutgers university (New Jersey). Autrice de « Au NON des femmes, Libérer nos classiques du regard masculin », Seuil, 2022
this post was submitted on 10 Dec 2023
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D'autant que dans la version originale, le prince (je ne suis pas certain que ce soit un prince d'ailleurs, je crois que c'est juste un chevalier) commence peut-être par l'embrasser, mais ne s'arrête pas là, loin de là.
Si on commence à sortir des versions Disney, les contes sont très différents.
Les contes classiques originaux sont mega trash. Je n’ai jamais lu aux gamins les versions originales, il y a de quoi être traumatisé et parano. Si jamais ça t’intéresse, l’écrivaine et youtubeuse anglaise Jenn Campbell a toute une série de vidéos sur les contes. Elle rentre pas mal dans le détail et explique pourquoi à l’époque on écrivait des trucs aussi horribles afin que les filles et femmes soient toujours sur leurs garde.